mercredi 14 novembre 2018

Home sweet home 3


A saisir: domaine en bord de mer



A chaque nouvelle visite, je garde l’espoir que la maison que je suis sur le point de visiter est LA maison. La maison où je vais enfin ouvrir mes cartons texans et où je vais jeter les sacs de graines achetés avec amour à la ferme des fleurs sauvages de Fredricksburg.  
J’attends donc un signe du dieu de l’immobilier, ou d’un de ses envoyés sur Terre, n’importe quel signe.

- J’avais eu un super bon feeling avec B. un agent immobilier très sympa qui m’avait laissé un message involontairement hilarant un matin à 8h24. Il avait une crève terrible, un nez bouché digne d’une sinusite surinfectée et après s’être dûment présenté, il avait été interrompu par un éternuement brutal mais surtout humide. Coupé dans son élan, il avait, j’imagine, raccroché précipitamment et cherché à effacer son message sans succès. Il m’avait donc laissé un deuxième message, les muqueuses toujours aussi encombrées, comme « si de rien n’était », ne revenant pas sur ses expectorations accidentelles.
J’ai beaucoup ri à l’écoute de son message qui a ravivé un souvenir qui date de quelques semaines après notre arrivée au Texas.
Un beau matin de septembre 2012, notre banquière texane m’appelle et me demande si je vais bien. Je suis stupéfaite, j’ouvre la bouche pour la remercier et là, m’étouffe littéralement. Impossible de parler, j’ai avalé ma salive de travers. Je tousse, essaye de reprendre ma respiration, m’étouffe de plus belle, tente de boire une gorgée d’eau au robinet, panique en l’entendant parler dans le combiné, et en pleine détresse respiratoire, je lui raccroche au nez. Quand enfin, j’ai repris mes esprits, j’ai eu envie de me cacher sous un meuble et d’y attendre patiemment le retour en France.
J’étais sûre que ce départ surprenant était un signe.

Mais j’ai tendance à voir beaucoup de signes dernièrement:
- Si la route est encombrée et que l’on arrive très en retard, si un lapin détale devant les roues de ma voiture, si il y a un portillon qui ouvre sur la forêt dans le jardin, si il y a un ruisseau au fond du jardin, si il y a une sauge du Texas dans le jardin, si le proprio a un oeil au beurre noir, si il y a des travaux, si il n’y en a pas, si il y a une tortue dans le jardin, si l’agent immobilier a un enfant dans la même école que Miss N., si l’agent immobilier divorce d’une femme américaine, si…
Bref, tu l’as compris, je suis arrivée à un tel stade de mysticisme qu’à défaut de trouver une maison, je vais me retrouver à Pierrefeu, (expression de cours d’école varoises, se référant à ce que l’on appelait un asile de fous quand le politiquement correct n’existait pas encore), ou me faire embarquer par une secte.

- J’ai cru bon de préciser à notre dernier agent, appelons-le L. (il a visité Dallas, c’est définitivement un signe), que je suis désespérée mais que je préférerais une maison dans laquelle personne n’est mort. Soyons honnêtes, on y pense tous, non! Non?
Tant qu’à être hantée, je souhaiterais que ça soit par de la famille proche et non pas d’obscurs défunts frustrés. Il m’a rassuré, en m’expliquant que 60% des maisons sont mises en vente à la suite de divorce mais qu’en cas de décès dans la maison, que je ne m’inquiète pas, il se devait de nous le dire. Ça peut en effet faire baisser le prix de la maison. 
Par exemple, une maison du voisinage s’est vendu 100 000 euros de moins à cause d’un meurtre dans une villa. Ce à quoi l’Homme a répondu en riant que lui, ça ne le dérangerait pas si on a une ristourne. L. s’est tourné vers nous et nous a dit:  « Ce que je ne vous ai pas dit c’est qu’ils sont cinq à y être passés ». 


Et ça, c’est un signe.







lundi 22 octobre 2018

Home sweet home (la suite)




Coquelicots et épis de blé
Idyllique mais à côté de la voie rapide.


Il n’y a rien qui me met plus en joie qu’un agent immobilier qui me propose une visite un samedi matin au lever du soleil, et cherche à me tenter avec une villa « qui se positionne très bien sur le marché en termes de prix et de prestations même si il y a en effet un problème de fissures mais rien qui ne soit pas réparable avec l’introduction de micro pieux dans le sous-sol ». 
Et moi, en mon for intérieur: « N’en dites pas plus, vous m’émoustillez. »

Le samedi suivant, l’agent se pointe en faisant visiblement la gueule pour une raison qui m’échappe, cherche à me semer en voiture pour se rendre sur les lieux du futur « drame », me serre la main d’une poignée flasque et blasée, ouvre un portail récalcitrant, rabat les volets d’une main rageuse pour mettre à jour la catastrophe: la maison est littéralement coupée en deux par une fissure si profonde que tu peux y enfoncer la moitié de la main. 
Evidemment que lorsque l’agent m’a proposé de « découvrir » l’étage, je me suis ruée dans l’escalier! J’ai pensé envoyer un message à ma mère pour qu’elle sache où chercher au cas où… et j’ai pensé que mon père, maçon en retraite, m’aurait probablement déconseillé de monter dans un escalier qui se tenait de guingois entre deux étages. 
Au premier, les papiers peints sont d’époque. Epoque moche. Mais ils sont à la hauteur de mes attentes. La fissure de l’étage sectionne la chambre à coucher comme la faille de San Andreas dans l’attente du Big One.
Même si les volutes bleues de la chambre me font de l’oeil, je ne m’attarde pas et je file dans le jardin. Alors que je suis en contemplation devant l’effondrement de certaines tuiles mises à mal par la fissure, l’agent m’annonce le prix exorbitant de la baraque. Je m’esclaffe et le son de mon rire se perd dans le bruit de l’autoroute, toute proche.

La poursuite de notre rêve, l’édification de notre nid, mes poules et mon potager ne m’ont jamais paru si loin. La semaine dernière je suis allée au marché de Aix. Pendant que mon poissonnier se marre en m’écoutant râler que mon four est trop petit pour le poisson qu’il me propose: 
«-Changez de four! 
- Je suis en location
-Changez de maison! » 
Je lui explique que la volonté est là. Une cliente près de moi m’interpelle et me dit qu’elle vend sa maison: « C’est quoi votre budget? » 
Je la regarde et je trouve sa question un peu directe, gênante et désagréable, là, au milieu du marché. On est toujours un peu trop riche ou pas assez pour les gens, et je n’ai pas envie d’être jugée par les spectateurs de la scène. Et je lui marmonne un montant moyen pour la région, entre mes dents. Elle sourit d’un air satisfait fort désagréable et me répond: « Ah oui, c’est un petit budget pour Aix, moi je vends ma bastide du 18è pour 4 fois ça. » 

Piquée au vif, après tout elle m’a interpelé juste pour le plaisir de se faire mousser avec sa bastide poussiéreuse, je lui réponds que je trouve le marché de l’immobilier largement surévalué dans la région. Je m’imagine une scène à la Astérix où je lui fiche un grand coup de morue dans son visage arrogant. Mais je préfère m’éloigner dignement, avec notre petit budget qui finira bien par nous payer un foyer du 20è siècle, ensoleillé, chaleureux, silencieux, avec des tomates et des poulettes dans le jardin.



(à suivre)





mercredi 17 octobre 2018

Home sweet home

Champs en Touraine l'été
La route vers l'accès à la propriété dans le sud. 


Je ne suis pas là pour dresser un bilan quelconque de mon année post retour. Personne n’a envie d’entendre des jérémiades. 
Je ne suis pas là non plus pour te parler du Texas. La page est tournée.
Je suis rentrée en avion avec mon chat sur les genoux, l’Homme à mes côtés, mes bagages dans la soute et des souvenirs plein la tête, avec des enfants heureux qui se réjouissaient de retrouver leurs familles. 

Il a bien fallu trouver un endroit où poser nos valises et nos cartons. Je vais te conter si tu veux bien, les aventures cocasses et curieuses auxquelles je suis confrontée depuis quelques mois. Car je côtoie dorénavant un corps de métier qui ne cesse de me surprendre et de m’agacer, les agents immobiliers.

Depuis un an, nous arpentons notre région, chronomètre en main, pour essayer de délimiter le territoire qui fera partie de nos recherches. 
Comme nous habitons dans une des villes les plus touristiques du coin, une des plus embouteillées et une des plus chères, nous avons du ré-examiner nos estimations à la baisse et le périmètre de recherche est actuellement tellement large que nous allons probablement changer de département. 

Nous sommes donc en location dans une maison et un certain nombre de nos cartons se trouve toujours dans le garage. Nous n’avons accroché aucun souvenir au mur en se disant que cela nous motiverait à bouger au plus vite. Un an que cela dure et ce n’est pas faute de chercher. Le retour m’a déprimé, la recherche d’une maison m’a laminé. Je fantasme en regardant les affiches publicitaires des magasins de bricolage et je jette rageusement les prospectus de décoration déposés dans ma boite aux lettres.

Depuis plus d’un an, je suis confrontée à des agents immobiliers qui me demandent mes critères, mon nom et mon email pour pouvoir me recontacter dès qu’une offre dans mes cordes s’annonce. Soit ils me promettent la lune et se montrent très enthousiastes pour mon « projet », soit ils sont défaitistes et m’expliquent que « dans la région, c’est compliqué et que vu notre budget et nos attentes, ça va être difficile ». Le genre de discours qui m’a fait proposer à l’Homme: « et en Bretagne, il est comment le bassin de l’emploi? »
Au vu des contacts et des propositions des agents qui se succèdent, je suis arrivée à la conclusion qu’eux et moi avons un sérieux problème de communication. Je n’ai pas d’autres explications.

Heureux celui qui n’a jamais eu à éplucher les annonces des agences immobilières. Le vocabulaire de l’immobilier doit vendre du rêve et te donner envie de visiter des trucs que si tes potes y habitaient tu t’inquiéterais pour leur santé mentale. 
Pour ma part, je suis bilingue. Comme l’expliquait Timsit dans un sketch que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaitre, il faut savoir lire entre les lignes. « Clair » ne veut pas dire ensoleillé, « calme » n’est pas silencieux, « à rafraichir », c’est le bordel,  « prévoir quelques travaux », ça sent la ruine, et « accès autoroutier » me fait frémir.

Mes premiers appels, naïve que j’étais, se faisaient sur un mode timide et je répondais aux questions des agents avec candeur et espoir: je partais dans des envolées lyriques expliquant que je souhaitais une maison inondée de soleil, des grandes chambres dans lesquelles les rideaux se soulèveraient au rythme du vent l’été, un grand terrain où s’ébattraient Charlie le cat, mes futures poules, mes abeilles et ma chienne de poche. Un studio attenant où l’on recevrait nos amis et la famille et si possible une grande cuisine d’été au bord de la piscine.

Ca c’était au début. 
Les visites qui ont suivi, ont ressemblé à des guets apens qui m’ont plongé dans un scepticisme affreux. C’est eux? c’est moi? c’est la région? J’ai donc réduit mon débit verbal en espérant que mes attentes seraient plus lisibles. Je souhaite une maison avec des chambres de taille correcte, un jardin avec des arbres, un salon et si possible du soleil. 

Le temps a passé. Les visites se sont poursuivies.
Mes explications sont devenues des exigences et je commençais chaque contact téléphonique ainsi : « je cherche depuis un an et j’ai le couteau entre les dents, je ne veux pas d’une maison en plaquo qu’on va payer pendant nos 40 prochaines années, je veux une baraque en dur, un terrain sur lesquels les promoteurs n’ont pas commencé par raser la nature, je ne veux pas un terrain inondable, je veux un soleil apparent et du silence. »
Mes visites sont devenues plus clairsemées. 

J’ai donc changé mon fusil d’épaule. Et j’ai décidé de visiter un peu tout ce que les agents essayaient de me refourguer. 
Tu demandes une baraque individuelle? Tu trouves la maison mitoyenne sur 3 côtés. 
Tu demandes du silence, tu finis au bord de l’autoroute.
"Mais madame, ce n’est plus la saison!" (on est en septembre!)
"J’ai quelques maisons qui pourraient vous correspondre". (On se parle depuis trois minutes mais tu me connais déjà?)


Les visites, quoique plus rares, ont commencé à revêtir un caractère étrange: j’y allais avec une curiosité malsaine qui s’apparenterait à du voyeurisme. Qu’y a-t-il de plus intrigant qu’une bastide du 18è avec piscine à 300 000 euros à Aix en Provence? 
Tu juges avec mépris les spectateurs qui se précipitaient pour apercevoir Elephant Man et ricaner? 
Je suis eux, version immobilière.
Je prends tout. Une cuisine ringarde aux couleurs improbables? Une fissure qui coupe la maison en deux? L’autoroute dans le jardin? La piste d’atterrissage dans l’axe du portail? 6000m2 de pinède mais en bordure de l’A7? 


A défaut de trouver une maison, j’ai trouvé un hobby. 


(à suivre)




vendredi 15 juin 2018

In his eyes

L'auteur dans Zilker Park à  Austin, TX.


This is a text in english that my son wrote this past year at school. I think he is a good story teller with a great sense of humor. 
Pat Conroy was one of my favorite authors then and still is, after his passing in 2016.



A few years back, in 2014, when me and my family still lived in the US, and when we still did huge road trips around the multiple states of the enormous country, we came to a town called Beaufort. It was located on the swampy coast of South Carolina, and was not very big (that’s an understatement as the town only had a main street with three rickety houses) yet it had some beautiful suburban houses, built in the old Creole plantation style. The neighborhood was very nice to drive through (drive, because who would have walked in that humid yet boiling atmosphere, with the bitter sweet scent of pollen from all the great magnolia trees harassing the nostrils, and the possibility of a surprise attack by the swamp’s inhabitants, ranging from alligators and crocodiles to snakes and fearsome raccoons!).

Yet we had a reason for braving the dangers of the wild South Carolina. My mom had learned that a famous author, Pat Conroy, lived in the area surrounding Beaufort. This and the awesome restaurant that served the « best shrimp and grits on the east coast ».
We set off trying to find Pat’s house, which we all thought would be so majestic we would not miss it. 
We were mistaken. The author, probably in fear of paparazzi assaulting his private life, had camouflaged his house among the others. An hour later, we had searched through the entirety of the neighborhood. Twice. At that point we were tired, and if they had not already, the good people of Beaufort were probably asking themselves whether to call the cops on the odd grey « soccer mom van » driving in the eerily empty street. Tired and hungry, we decided to go to the visitor center in the historic part of town to gather information of the whereabouts of the house.

The historic district was bigger than the main street, since it had four grand buildings. We entered the cool and dry visitor center and just stood in the doorway, enjoying the wonders of climatization. My mom was the first to come out of that trance and went to ask the woman working in the gift shop a bit of information of the town, and the not too subtly asking for where good ol’ Pat might happen to live, so we could totally not drive up to his house and take a bunch of pictures and not ask for his autograph. The woman, who had probably been paid off by Pat, said nothing of where he was, but gave us a book he had hand-signed. 
After this short and unfruitful encounter, we went back to the car. Again, we had a bad surprise. In the three minutes we had parked in front of the visitor center, we had gotten ticket from the local (and probably only) policeman. But I guess my parents were too tired to argue and we left and paid the ticket later.

After this not so great encounter with bad luck, we were too tired for anymore adventure and went back to our hotel room. So people can say what they want about this story, but at least we tried our best to meet the renowned author.





Pour ceux qui ne lisent pas l'anglais, voici ma traduction qui malheureusement pour vous ne reflète que pauvrement la truculence du texte original.


Quelques années en arrière, en 2014, quand j’habitais toujours aux US avec ma famille et que nous faisions encore des énormes road trips traversant les multiples états de cet immense pays, nous sommes allés dans une ville nommée Beaufort. Elle se trouvait sur les rives de la marécageuse Caroline du Sud et ça n’était pas bien grand (c’est un euphémisme vu que la ville n’était composée que d’une rue principale et de trois maisons bancales) mais on y trouvait quelques belles maisons, construite dans le style « vieille plantation créole ». Le quartier était très sympa à traverser (en voiture, parce que QUI aurait marché dans cette atmosphère humide mais brûlante, saturée du parfum doux amer de tous ces grands magnolias qui nous assaillait les narines, et la possibilité d’une attaque surprise par un des habitants du marais, alligators, crocodiles, serpents ou encore de redoutables ratons-laveurs!).

Cependant nous avions une bonne raison pour braver les dangers de la sauvage Caroline du Sud. Ma mère avait entendu dire que le célèbre auteur Pat Conroy, vivait dans un quartier de Beaufort. Ça et le sensationnel restaurant qui servait les meilleures « shrimp and grits » de la côte Est. 
On se mit en route à la recherche de la maison de Pat, que nous imaginions tous si majestueuse, que nous ne pourrions pas la rater. On avait tort. L’auteur, probablement par peur des paparazzis, avait rendu sa maison invisible parmi les autres. Une heure plus tard, nous avions inspecté tout le voisinage. Deux fois. A ce stade, nous étions crevés, et si les honnêtes citoyens de Beaufort ne l’avaient pas encore fait, ils devaient hésiter à appeler la police au sujet d’un étrange van gris de « mère de famille nombreuse » passant dans les rues étrangement vides.

Fatigués et affamés, on décidait de se rendre à l’office de tourisme du centre historique, pour rassembler des informations sur la maison. Le quartier historique était plus imposant que la rue principale vu qu’il était composé de quatre bâtiments. 
On est donc entré dans l’air frais et sec du « visitor center », profitant de cette merveille qu’est la climatisation dès le pas de porte. Ma mère fut la première à sortir de cette transe pour demander des renseignements à la vendeuse de la boutique de souvenirs, demandant de façon peu subtile où pouvait bien vivre ce bon vieux Pat. Dans l’optique de ne pas se rendre chez lui pour y prendre des photos ni bien sûr de lui demander une dédicace. La dame, qui avait probablement été payée par Pat, ne révéla rien mais nous vendit un livre dédicacé de la main de l’auteur. 

Après cette rencontre courte et infructueuse, nous retournâmes à la voiture. Une autre mauvaise nouvelle nous y attendait. Dans les trois minutes où nous étions restés garés devant le « visitor center », nous avions reçu un PV du seul et probablement unique policier du bled. Je suppose que mes parents étaient trop fatigués pour discuter, on reprit donc la route et ils payèrent plus tard.

Après cette rencontre plutôt mesurée avec la chance, on repartit pour l’hôtel, trop crevés pour chercher d’autres aventures. Les gens peuvent dire ce qu’ils veulent mais au moins on a fait de notre mieux pour rencontrer Pat Conroy.







vendredi 26 janvier 2018

Sans foi ni loi.





Lors de notre dernière visite au Consulat de Houston, au mois de mai, nous avions soulevé la question concernant le retour de nos permis. 
Si tu es expat, tu sais probablement que certains états, dont le Texas proposent d’échanger le permis français contre un permis texan, communément appelé ID. Les démarches sont rapides et efficaces: la nana du guichet te tire le portrait entre deux empreintes digitales, te dit que ton accent est adorable, et roucoule que ton nom est difficile à prononcer. Tu repars le coeur léger, le bonheur texan t’éblouit un peu à la sortie.

Tu viens de signer sans le savoir, le contrat de l’emmerdement maximum post-expatriation. 

Revenons-en à notre visite au Consulat. L’employé nous a très vite rassuré en nous expliquant que nous ne reverrions surement jamais nos permis, suite à un changement dans le protocole. Voici donc sa version: les préfectures en France n’appréciaient pas que le Consulat conserve les permis que leur avait transféré le TxDPS (Texas Department of Public Safety), parce que ça leur prenait leur boulot. Donc, peu après notre arrivée, le DPS a commencé à renvoyer les permis directement en France où ils étaient remis à leur préfecture d’origine. 
Ça, c’est la théorie.

Dès le mois d’août, nous avons rempli les dossiers, fournissant toutes les pièces et les formulaires requis. Le dossier complet envoyé, nous avons repris le cours de nos vacances sans plus nous soucier de tout ça. Après tout, il y a des gens dont c’est le boulot, nos permis n’allaient plus tarder.

Le 11 septembre, j’ouvre avec impatience une grosse enveloppe en papier kraft provenant de la Préfecture de Marseille. Nos deux dossiers COMPLETS s’y trouvent, accompagnés d’une lettre nous expliquant qu’une réforme a eu lieu et qu’à partir du 11 septembre, les dossiers seront traités à la préfecture de Loire Atlantique. Je suis sous le choc, car clairement une personne a attendu la date butoir pour nous renvoyer le dossier sans le traiter, préférant refiler le bébé merdeux à quelqu’un d’autre. 
Comme il y a un numéro de téléphone sur le courrier, je m’empresse d’appeler et tombe sur une dame tout à fait charmante qui m’explique ne pas en savoir plus que moi et qu’effectivement nos dossiers d’impatriés seront désormais traités à Nantes. 

Je renvoie donc les dossiers à Nantes. 
Deux semaines plus tard, l’Homme, breton, reçoit un permis temporaire en attendant qu’un nouveau lui soit fabriqué. Moi, rien. Je l’accuse donc d’être pistonné parce qu’il porte un prénom breton. 
Plus de cinq mois plus tard, je n’ai toujours rien reçu. Le permis temporaire de l’Homme arrive à échéance dans quelques jours. J’ai toujours mon ID, l’Homme n’a même plus ça puisqu’il a du s’en séparer pour recevoir un permis définitif, jamais reçu.

Je conduis donc depuis six mois avec une ID texane périmée.
Après le gros stress des premières semaines, mes sorties me menant invariablement au bord des larmes, je dois dire que je prends les choses avec plus de philosophie tout en obéissant scrupuleusement aux limites de vitesse. Je me fais donc klaxonner, insulter et menacer très souvent, par des piétons et des pilotes de seconde zone.
Je pense souvent au mari de ma copine C. qui est gendarme et qui me regarderait avec des gros yeux s’il savait. Et oui, je cache ce dysfonctionnement administratif comme une maladie honteuse. Je crierais bien sur tous les toits:  « Je suis innocente, je suis une victime du système! » mais j’ai l’impression que c’est ce que clament tous ceux qui ont un truc à se reprocher. 

Nous avons donc saisi toutes les solutions qui s’offraient encore à nous, restreintes malgré tout, puisqu’une réforme a supprimé la plupart des contacts physiques concernant les permis et cartes grises: tout se passe sur internet, plus d’interlocuteurs! 

Comme c’est une expérience divertissante, je me permets de te montrer des extraits des emails reçus successivement par le service public et l’ANTS qui se renvoient la balle, ne sachant vraisemblablement pas quoi faire de nous!
C’est un plaisir pour les yeux:

« L'Agence Nationale des Titres Sécurisés ne traite pas les demandes d'échanges et de permis étrangers. Les délais de traitement sont à prendre en considération.

Notre service est en charge du suivi de la production et de l'acheminement des titres.
Pour obtenir ces informations je vous invite à consulter le site www.service-public.fr"

Suivi de:

« L'équipe de Service-Public.fr vous aide à trouver une information générale répondant à votre demande. Si nécessaire, nous vous orientons vers l'interlocuteur susceptible de compléter cette réponse.

Nous ne sommes pas en mesure de traiter votre demande qui relève de la compétence l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) - Permis de conduire. 
Nous vous suggérons de contacter ce dernier à l'aide des coordonnées accessibles dans l'annuaire de service-public.fr"

Nous avons donc sorti le plan M, plan Merdique puisque le plan B est dépassé depuis longtemps, tout en espérant secrètement devoir aller jusqu’au plan Q, réconfortant.
Nous avons écrit à tous les ministres, secrétaires d’état et sénateurs des Français de l’étranger ayant un rapport de près ou de loin avec notre problème, sans succès. 

L’espoir est né hier lorsque le Défenseur des Droits nous a contacté et dit s’être saisi du dossier. 

Je venais de déclarer mon permis perdu, je ne sais même pas si ça sera accepté (les voies de l'administration étant comme celle du Seigneur, impénétrables), et à la question « quelles sont les circonstances de la perte de votre permis » j’ai répondu que la Préfecture de Nantes l’avait perdu. J’ai adoré ce moment de délation et je le referai avec plaisir si je pouvais. 
Suis-je bête, ce moment arrivera surement plus vite que je ne le pense et je suis quasi-sûre que le plaisir aura disparu. Je n’ai que peu d’espoir de voir une anomalie de l’administration française se résoudre, sans être accusée d’en être à l’origine. 

C’est d’ailleurs ce que m’a laissé entendre mon interlocutrice du service des permis volatilisés par téléphone. Elle a d’abord écouté patiemment mon histoire sans piper mot. Comme c’était un peu long, et que le silence au bout de la ligne m’inquiétait, j’ai demandé à plusieurs reprises: « Vous êtes toujours là? ». Et je l’imaginais, le visage dans les mains en train de demander aux impénétrables voies du Seigneur: « Pourquoi moi? ». Je suis d’ailleurs fermement convaincue que c’est un point que l’on a eu en commun à un moment du récit. 
Bref, quand mon histoire a été terminée, je suis quasi-sûre de l’avoir entendu compulser nerveusement son cahier pour trouver la démarche à suivre en cas « de coup du sort merdique ». Elle n’a pas trouvé et m’a recommandé deux solutions, déjà testées qui avaient aussi déjà échouées, puis m’a déclaré à plusieurs reprises:  « Madame, je vous assure, si j’avais la solution, je vous la donnerais! »
En fin de course et aussi désespérée que moi, mon interlocutrice m’a donc conseillé de me déplacer. A Nantes. 


« Ceci est une oeuvre de fiction, toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait purement fortuite »







lundi 13 novembre 2017

Le serpent de Pétugue et le musicien






Je me suis plus d’une fois étonnée de la propension de l’américain à se réjouir de tout et à s’enthousiasmer pour un rien. Etant moi-même de la race des insatisfaits permanents et qui n’ont pas peur de le dire, je suis une fan de ce trait de caractère. 
L’esprit américain est ainsi fait. Il remercie Dieu et son fils en permanence et il est capable de trouver une raison de jubiler jusque dans la date du jour. 
Comme tout ça est reposant et agréable. Côtoyer des inconnus ou des amis qui voient en tout un signe favorable: chaque jour contient une promesse de bonheur. Peu importe par qui elle lui est envoyée. Athée, je ne rechigne pas devant la bonne humeur d’un Texan qui remercie Dieu pour une belle journée d’automne. 

Cette allégresse finit par être communicative et l’on se surprend à vouloir faire comme eux avec plus ou moins de succès. 
Il suffit de lire les commentaires sur les sites d’expats français pour qu’assez rapidement les observations se rassemblent unanimement sur les français de la métropole qui sont des geignards impénitents. Une sorte de point Godwin de l’expat: au plus la conversation est longue, au plus les chances de te faire traiter de râleurs de la métropole augmentent. Et finalement, le non râleur de l’étranger se met à râler contre les râleurs de France.


Toutefois, cet enthousiasme excessif m’incommodait au début surtout lorsque les profs de mon fils (il s’agit des mêmes dont j’ébauchais un début de profil dans mon dernier article) en faisaient preuve à outrance, glorifiant ses  moindres efforts à l’excès alors que je ne voyais que des cahiers dont la tenue aurait donné à n’importe quel instit français l’envie de se crever les yeux avec un feutre rouge. Et oui, mon fils découvrait avec enthousiasme que l’école américaine accorde beaucoup plus de valeur au fond qu’à la forme et que toute réussite est invariablement saluée par une salve d’adjectifs élogieux.
Tout cela dit sans sarcasme, je le souligne.

Aujourd’hui que nous voilà revenus, j’apprécie de vivre au pays de la galéjade, où sortir de chez soi est toujours amusant si on a l’oreille baladeuse. Critiques, moqueries ou constatations navrantes se font dans des envolées lyriques telles, qu’il est difficile de ne pas en rire. J’ai donc troqué l’optimisme forcené pour la malice mystificatrice.

En fait, la victime de mes griefs, parce qu’il y en a une, serait le professeur de trompette du conservatoire. Après m’avoir assuré que la France et les musiciens français qui ne sont pas lui sont des connards, a trouvé que le meilleur moyen de conquérir l’estime et le respect de mon fils, était de lui assener que son prof particulier texan était nul et qu’il nous avait volé sur le tarif horaire, surtout pour que mon fils ait un vibrato à chier. 
Tout ça après qu’il m’ait affirmé qu’il était « ceinture noire de karaté, que sa maison était immense mais qu’une maison immense dans une ville de cons où il est payé une misère ça servait à rien ». Et il m’a assuré qu’il allait « décamper au plus vite de ce pays pour aller vivre dans les Caraïbes parce que là-bas c’est la vraie vie et qu’il serait payé 20 000$ pour faire un concert de temps en temps à Miami et qu’il allait se barrer de ce pays de merde ». 

C’est après sa tirade que je me suis demandée combien de temps mon fils allait le supporter. Ça n’a pas fait un pli sur les chemises de l’individu,  tachées de gras, qui s’écartent au niveau des boutons pour nous laisser apercevoir son énorme estomac velu. Mon fils est revenu dégoûté et a rangé sa trompette depuis trois semaines et refuse de retourner dans le cours de cet odieux personnage à l’ego surdimensionné.


Est-ce un hasard si je repense à Pétugue et son serpent, ce « mostre »  (monstre) énorme qui grossissait au fil du discours, mais qui n’a jamais pris vie que dans les vantardises de ce bêta notoire. 






jeudi 19 octobre 2017

The Son





Je suis toujours ravie d’avoir des commentaires sur mes articles. Je trouve ça super gratifiant quand je constate que la personne qui a commenté n’est pas ma mère, j’ai l’impression de recevoir le Pulitzer.
C’est en lisant un commentaire concernant mes enfants dernièrement que j’ai repensé à la responsabilité qui pèse sur les épaules des parents en expatriation. 
Lorsque nous avons quitté la France, notre fils de 10 ans n’était pas motivé du tout et partait clairement à reculons. Il n’avait pas envie de quitter sa famille, ses copains, son école et le parc où il passait ses mercredis depuis ses 2 ans. 
Il s’est adapté malgré tout, d’abord parce qu’il est un enfant facile et gentil et aussi parce que les professeurs de sa nouvelle école étaient affectueux, compétents et compréhensifs. 
Sa prof de sciences a tout de suite conquis son coeur en lui montrant une bestiole morte, bouffée par les vers près de l’école, suivi d’un serpent à la piqûre mortelle lors d’un sortie scolaire. Ils étaient sur la même longueur d’ondes. 
La prof d’anglais nous a assuré que notre ainé était épatant tous les jours pendant six mois; la prof de maths quant à elle, associait pédagogie et jeux avec succès, bref, la vie était belle. 
Question amitié, notre fils a dès la rentrée été accueilli par un garçon jovial et joufflu qui lui parlait avec les mains, et dont l’oncle travaillait à l’entretien de l’école. Alors que l’année avançait, le gamin s’est montré de plus en plus lunatique et désagréable, jusqu’au jour où il a annoncé qu’il déménageait et a lâché sa bombe. « C’est mon oncle qui m’a demandé d’être copain avec toi au début de l’année, parce qu’il travaille à l’école, en fait, j’en ai jamais rien eu à faire de toi ».
Inutile de dire que la culpabilité parentale s’emballe grave. Non seulement, tu as envie de traiter un dix ans d’enfoiré mais en plus ton fils a le coeur brisé et tu en es responsable, indirectement.
C’est vrai que l’expatriation, c’était notre rêve et c’était surtout un choix ce n’était juste pas le sien. 
C’était notre rêve de montrer à nos enfants un nouveau pays et de partager avec eux de nouvelles richesses malgré l’appréhension, les efforts et les sacrifices.
Aujourd’hui, si on arrive à affronter la frustration du retour et les contrariétés quotidiennes inhérentes à l’impatriation, c’est grâce à tout ce que l’on a vécu là-bas.
Ils ont voyagé, beaucoup, ils ont rencontré des personnes de tous les milieux, des très riches qui se perdaient dans leur grande maison et des copains très pauvres qui mangeaient rien le weekend. Ils ont rencontré des ultra-conservateurs sympathiques, des progressistes hilarants. Ils ont goûté des plats nouveaux avec quelquefois des ingrédients étranges. Ils ont vu des amoureux de tous les âges et de tous les sexes se tenir par la main et parler d’amour. Ils savent que le champion du Texas de lutte féminine est un garçon. Ils ont vu des nanas s’exhiber à demi-nues à La Nouvelle-Orléans et des familles vivre dans des cartons à Los Angeles. Ils ont vu la mort au cimetière d’Arlington et l’Alamo, et ont visité Gettysburg.  Ils citent JFK et connaissent MLK. 
Ils mettent leur main sur le coeur quand ils chantent l’hymne américain et parlent anglais couramment. 

Mais ce qu’ils ont réellement appris pendant ces cinq ans, c’est accepter les autres et leurs différences parce qu’ils savent ce que c’est d’être celui qui est différent.

Après avoir été le "Frenchy" au Texas, il est "le Texan" en France.
Ouray, Colorado.


Quand on est parent, on fait du mieux que l’on peut même si ça n’est pas toujours très réussi. Je leur rappelle généralement que c’est du carburant pour leurs futures visites chez le psy, où ils pourront à loisir déblatérer sur leurs égoïstes parents qui les ont forcés à vivre cinq fantastiques années d’enfer texan.
Alors il est toujours amusant de recevoir des reproches et des conseils de personnes qui assises derrière leur écran, n’ont jamais vécues à l’étranger, n’ont pas d’enfant ou n’ont pas un sou de psychologie. 

Je crois que même si à cause de nous ils ont été stressés quelquefois, si ils ont eu peur, trop froid ou trop chaud, ça valait le coup et je repartirais à la minute, avec eux, là ou ailleurs, si ça se présentait à nouveau.


Le Grand Canyon, North Rim, Angels Window.